Vers
le chelem à la couleur (les
soutiens d'une ouverture majeure) (A. Lévy - Bridgeur n°824
- janvier 2009)
Une série d’articles dont la priorité sera
d’apprendre à diagnostiquer les chelems sur table et à éviter les chelems sans position
gagnante. Les étapes à franchir étant :
A – Fixer l’atout.
B – Evaluer les forces combinées en présence.
C – Déclencher le processus des contrôles.
D – Prendre le capitanat.
Cette étude est composée de plusieurs
articles :
I -
Les soutiens d'une ouverture majeure (cet article).
II - Les soutiens de la majeure du
répondant (cliquer ici pour afficher l’article)
III - Les soutiens de la deuxième couleur de
l'ouvreur (cliquer
ici pour afficher l’article)
IV - Les soutiens d'une majeure au moins
sixième (cliquer
ici pour afficher l’article)
V - Les enchères de contrôle (cliquer ici pour afficher l’article)
VI - La prise de capitanat (cliquer ici pour
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VII – Le Blackwood (cliquer ici pour afficher l’article)
VIII - Le
Blackwood exclusion (cliquer ici pour afficher l’article)
IX - Les soutiens après ouverture ou redemande
à Sans-Atout (article à venir)
Une série d'exercices accompagne cet article
(voir « jeux & exercices / testez vos enchères / enchères
en attaque / En route vers le chelem, donnes 1 à 24 »)
I - Les soutiens d'une ouverture majeure.
Introduction arithmétique
Les donnes de
chelem font toujours de gros écarts, même dans des matchs de haut niveau. Si, à
Sans-Atout, la décision est basée sur un critère assez simple (une force
combinée d'un minimum de 33 points HL) et conduit le plus souvent à une
égalité, il en est tout autrement pour la déclaration d'un chelem à
Si vous
arrivez à visualiser pendant votre séquence d'enchères comment vous allez
réussir douze levées puis à vérifier que vous n'avez pas deux levées immédiates
à perdre, vous aurez l'impression que votre contrat est à 100% et c'est vers ce
pourcentage de réussite que vous devez tendre, parce qu'il y a tant de facteurs
imprévisibles que rapidement ce pourcentage descend vers 80%, puis vers 60%,
jusqu'à atteindre la barre fatidique des 50%.
Avant
d'aborder les problèmes techniques, je voudrais vous convaincre de l'approche
comptable de la déclaration d'un petit chelem. Mathématiquement, c'est très
simple. Quelle que soit la vulnérabilité, vous avez exactement autant à perdre
qu'à gagner en termes de points de match.
- Non
vulnérable
• +980 comparé à +480 -> +500 = +11 imps
• -50 comparé à +450 -> -500 = -11 imps
- Vulnérable
• +1430
comparé à +680 -> +750 = +13 imps
• -100 comparé à +650 -> -750 = -13 imps
Cela revient
à dire que si vous jouez toujours les chelems à 50%, à la fin de l'année vous en
gagnerez un sur deux et serez à égalité avec celui qui ne les a jamais
déclarés. Mais, attention, ceci n'est vrai qu'a posteriori, quand vous avez
pris connaissance des deux jeux. A contrario, pendant la séquence, vous ne
pouvez pas diagnostiquer les cartes intermédiaires qui font toute la
différence, avec des probabilités qui vont tomber de 50% à 20% et parfois de
75% à 7% !
Considérez
ces teneurs d'atout :
a) A D X
2 V 9 4 3
b) A D X
2 V 5 4 3
c) A D 6
2 V 5 4 3
Si votre
contrat dépend de la réussite de l'impasse au Roi d'atout, il passe de a) 50%
(je vous fais grâce du partage 5-0), à b) 37%, pour finir à c) 14%.
La
conséquence est connue : on ne joue pas un chelem avec un As et le Roi d'atout
manquants.
Plus flagrant
:
• A X 9
4 V 8 5 3
• A X 6
4 V 9 3 2
• A X 6
4 V 7 3 2
• A 8 6
4 V 7 3 2
Ici, votre
seul souci est de ne pas perdre deux levées d'atout. La dégringolade est encore
plus sévère. On peut se féliciter de jouer le chelem dans le premier cas, on
frise le ridicule dans le dernier.
On ne joue
pas de chelem à huit atouts avec le Roi et
La priorité
dans les articles qui vont suivre sera d'apprendre à diagnostiquer les chelems
sur table et à éviter les chelems sans position gagnante.
Les étapes à franchir
A. Fixer
l'atout
B. Évaluer
les forces combinées en présence
C. Déclencher
le processus des contrôles
D. Prendre le
capitanat
L'exploration
et la déclaration des chelems sont très différentes selon que le soutien
exprimé est en majeure ou en mineure. Les premiers volets de cette étude ne
concernent que les chelems en majeure.
A. Fixer
l'atout
L'expression
du soutien majeur est la clé de voûte de l'exploration du chelem. Choisir le
bon palier ou l'enchère conventionnelle qui convient est un véritable
casse-tête en raison de l'arsenal gigantesque que la plupart des joueurs de
compétition ont façonné au sein de leur paire. Dans un récent entraînement
d'une équipe nationale étrangère, j'ai dénombré dix-sept façons d'exprimer,
directement ou au deuxième tour, un soutien après une ouverture de 1♥ ou de l♠. C'est beaucoup trop. Quelques
exercices d'application ont suffi à démontrer les failles, les contradictions
et la difficulté à mémoriser et à appliquer un système aussi complexe.
À partir du standard
français, on peut élaborer un système très performant avec entre huit et dix
expressions du soutien de l'ouverture de 1♥
ou de l♠. Voici les plus classiques et leurs variantes.
1. Soutiens directs naturels
Vous pouvez remplacer
indifféremment l'ouverture de l♠ par 1♥.
a. l♠ -
2♠
6-10DH, trois
ou quatre atouts.
Les mains de
l'ouvreur avec lesquelles on envisage un chelem après ce soutien sont
exceptionnelles.
Nous y
reviendrons dans quelques mois.
b. l♠ -
3♠
11-12DH, quatre
atouts.
Remarque
Certains
joueurs utilisent ce soutien comme un barrage et expriment le soutien limite
avec quatre atouts par un saut conventionnel à 3♣
ou 3♦. C'est leur droit mais nous
n'étudierons pas cette variante et ses développements.
Une
importante partie des enchères de chelem va être développée à partir de ces
soutiens limites au palier de 3. Il est donc fondamental de vous faire une idée
très précise des mains qui, avec quatre atouts, doivent exprimer un soutien
direct au palier de 3, ni plus ni moins. La zone 11-12DH est très étroite, un
point de latitude. Un moyen pragmatique de compter vos points de distribution
est de soustraire le nombre de cartes de votre couleur la plus courte de celui
de votre nombre d'atouts (*) :
•
Quatre atouts, main 4-3-3-3 -> +1.
•
Quatre atouts et un doubleton -> +2.
•
Quatre atouts et un singleton -> +3.
•
Quatre atouts et une chicane -> +4.
(*)
N.D.L.R. : Ce compte des points de distribution est un peu plus conservateur et
diffère légèrement de celui préconisé habituellement, qui accorde 2 points D au
neuvième atout en plus de la valeur habituelle des coupes.
Comment
évaluer les mains qui ont, soit deux doubletons, soit un doubleton et un
singleton, c'est-à-dire les distributions 5-4-2-2 et 6-4-2-1 ? Grossièrement,
vous pouvez ajouter un point au compte précédent : deux doubletons +3, un
singleton et un doubleton +4.
Mais, en
pratique, cette réévaluation dépend beaucoup de la qualité de votre longueur
et, par inférence, de la localisation de vos honneurs, dans les couleurs
courtes ou dans les longueurs. Bien juger la valeur de son jeu, dès la première
enchère du répondant, c'est franchir avec succès la première étape vers la
déclaration d'un bon chelem. Pour mieux comprendre, comparez ces deux jeux :
♠
R 9 7 6
♥ 8 4
♦ X 6
♣ R D 9 5 3
et
♠
R 9 7 6
♥ R 4
♦ D 6
♣ 9 7 5 3 2
Sans faire de
calcul, vous sentez bien la différence du potentiel des deux jeux. La première
main vaut : 8H+2+1 = 11DH -> 1♠ - 3♠. La deuxième main vaut :
8H+2+0 = 10DH -> 1♠ - 2♠.
c. l♠ -
4♠
De 0 à 10
points d'honneurs. Toujours avec cinq atouts, ce soutien est considéré comme
une enchère de barrage. Les enchères
de chelem subséquentes sont trop rares pour s'y arrêter.
2. Soutiens directs conventionnels
a. 1♠ -
2SA
Les emplois
du 2SA fitté sont très variés. Les deux versions les plus employées sont :
• Quatre atouts, forcing de manche, avec
une distribution irrégulière à partir de 12H ou régulière à partir de 14H. En
complément de ce système, la réponse de 3♦
sur l'ouverture de 1♥ ou de 1♠ montre
trois atouts dans une main limite, 11-12DH.
Les
développements sont conventionnels et ne font donc pas partie de notre étude
sur les chelems.
• Trois atouts, 11-12DH, toutes distributions.
C'est la
signification que nous adopterons. Cette définition doit être étendue aux mains
4-3-3-3 de 12-13H, pour proposer le contrat de 3 Sans-Atout, sur une enchère
d'arrêt de l'ouvreur, 3♥ ou 3♠. Le
compte des points de distribution suit le même principe que précédemment.
Attention,
sur une ouverture de 1♥, l'enchère de 2SA
ne dénie ni quatre, ni même cinq cartes à Pique. Il est très utile, dans les
séquences de chelem, que, dans la séquence :
Sud
Ouest Nord Est
1♥ -
1♠ -
2♣/♦ -
3♥
3♥ soit l'expression d'un soutien forcing. Répondre
1♠ avec trois cartes à Cœur dans la zone 11-12DH vous obligerait à sauter
à 4♥ au deuxième tour d'enchères.
b. 1♠ -
3SA
Efficacité,
précision, fréquence d'emploi, confidentialité, facilité de mémorisation, cette
convention n'a que des avantages. Quatre
ou cinq atouts, une main très régulière, entre 11 et 13 points d'honneurs.
Sans surprise, les mains de l'ouvreur avec lesquelles on envisage un chelem en
face de ce type de jeux ne sont pas légion.
b. 1♠ -
4♣/♦
Les Splinters
en réponse à une ouverture de 1 en majeure sont à classer dans la catégorie
« chelem, si miracle ». Une enchère qui atteint rapidement le palier
de la manche insiste davantage sur la distribution que sur
• Cinq
atouts.
• De 7 à 10
points d'honneurs (la zone haute de l'enchère de 4♠).
• Deux cartes
utiles : deux Rois, un As et un Roi ou deux As.
• Un singleton
mineur.
Remarque
Il y a deux
bonnes raisons pour refuser de nommer le singleton dans l'autre majeure, l♥ - 3♠ ou 1♠ - 4♥ : les risques d'oubli et l'utilité à conserver
le sens naturel de ces sauts, barrages, avec deux honneurs septièmes à Pique,
huitièmes à Cœur (pas As-Roi).
3. Soutiens différés
Rappels
Les soutiens
différés exprimés au palier de 2 sont des préférences avec deux cartes :
Sud
Ouest Nord Est
1♠ -
2♣
- 2♥ -
2♠
Ils n'appartiennent
pas à notre étude.
Tous les soutiens différés exprimés au palier
de 3, avec ou sans saut, sont forcing de manche.
Attention, la
séquence :
Sud
Ouest Nord Est
1♥ -
1♠ -
2♥ -
3♥
n'est pas
forcing, sans être une exception à la règle : 3♥
est une proposition de manche avec deux cartes à Cœur, puisque l'enchère de 2♥ promet six cartes à Cœur.
Le véritable
objet de l'étude qui suit est de faire la différence entre l'expression des
soutiens au palier de 3 et ceux au palier de
Sud
Ouest Nord Est
1♠ -
2♣
- 2♦ -
3♠
et
Sud
Ouest Nord Est
1♠ -
2♣
- 2♦ -
4♠
dans la 1ère
séquence, 3♠ est le premier pas vers le chelem, ce qu'on peut appeler
« l'enchère déclic ».
dans la 2ème
séquence, 4♠, sans être une conclusion, est un coup de frein généralisé.
La limite
entre les deux est mince. Il faut entre 13 et 15 DH pour dire 4♠, à
partir de 16 DH pour dire 3♠. Cette évaluation minimise les risques
d'erreurs, mais elle n'est pas suffisante. Dans le choix de votre enchère, il
faut déjà penser « chelem ou pas chelem » et apprécier à leur juste
valeur les éléments positifs et négatifs de votre jeu.