La signalisation sur l'entame à la couleur (M. Bessis - Bridgeur n°706 - avril 1998)

 

cf. : « Les principes de la signalisation »

cf. : « La signalisation sur l’entame à Sans-Atout »

 

Bien que les principes fondamentaux soient valables dans tous les cas, il paraît judicieux de différencier la signalisation sur l'entame à Sans-Atout de celle que l'on emploiera dans un contrat à la couleur.

Dans les deux cas, bien sûr, on ne pourra parler de signalisation que si le partenaire de l'entameur n'a pas à fournir une carte obligatoire pour « forcer en troisième ». En fait, on s'intéressera à l'attitude du numéro trois quand il ne peut pas monter.

- Le partenaire de l'entameur indique son nombre de cartes en pair impair dans l'immense majorité des cas.

- Il appelle ou refuse suivant qu'il possède ou non un honneur complémentaire sur l'entame de l'As ou de la Dame.

- Au vu du mort, il pourra aussi utiliser un appel de préférence.

 

La signalisation « pair impair » sera la plus fréquemment employée, car c'est elle qui permettra à l'entameur de se faire la meilleure idée sur la conduite à tenir dans la suite du coup. Néanmoins, dans certains cas, c'est un autre signal qui lui sera plus utile et qui devra donc être employé. Encore faut-il être sûr qu'il l'interprète correctement.

Le but de cet article est de déterminer quelles sont les situations où le partenaire de l'entameur pourra utiliser un appel direct ou un appel de préférence plutôt que d'indiquer sa distribution. L'élément fondamental pour justifier l'une ou l'autre signalisation sera la teneur du mort dans la couleur entamée. Imaginons que vous possédiez D 8 3 à Pique et que votre partenaire entame de l'As de Pique. Quelle carte faut-il mettre ? Comment votre partenaire l'interprètera-t-il ? D'aucuns vous diront qu'ils fournissent le 8 pour appeler, d'autres le 3 pour donner le compte : il y en aura même certains qui vous diront que tout cela dépend du retour souhaité. En fait, ils ont tous tort et raison à la fois. Tout dépendra de la situation dans laquelle vous vous trouvez.

En effet, Si le mort détient trois petites cartes (ou le Valet troisième), le souci principal de votre partenaire sera de savoir s'il peut tirer le Roi sans craindre d'affranchir bêtement la Dame du déclarant. Votre nombre de cartes est finalement secondaire et il faudra donc appeler du 8.

 

Remarque : vous fournirez également le 8 avec un doubleton 8 x ce serait également un appel mais pour couper.

Si le mort détient un singleton à Pique, le nombre de cartes que vous détenez dans la couleur est un renseignement dont votre partenaire se passe bien volontiers. Il ne sera d'ailleurs pas non plus intéressé par la connaissance de la Dame dans votre jeu.

 

Ce qui le passionnera, en revanche, sera d'avoir une indication sur le retour qu'il doit faire et donc sur l'emplacement de vos honneurs annexes. Il faudra la lui donner en utilisant un appel de préférence.

 

Cet intérêt pour une indication de vos forces annexes sera également très aigu si votre partenaire a entamé d'un singleton. Dans ce cas, il faudra penser à lui indiquer le retour grâce à un appel de préférence. Exemple : après la séquence suivante,

 Sud     Nord

 1      3

 4

Votre partenaire entame de l'As de Pique.

 

                  ♠ R D 9 6 5

                  R D 4 3

                  X 3

                  8 2

♠ A                 N         ♠ V 8 7 3 2

                 O     E      9

                    S         A 7 5

                              D X 9 3

 

Il faut absolument fournir le 8 de Pique pour indiquer votre As de Carreau (la plus chère des deux couleurs manquantes) et permettre à Ouest, qui a entamé de son As de Pique sec, d'obtenir une coupe.

 

Dans tous les autres cas, on considérera que le renseignement à donner prioritairement concerne la distribution et on indiquera le compte de la couleur en pair impair (n'oubliez pas de fournir la deuxième meilleure avec quatre cartes si vous voulez que votre partenaire lise plus aisément la position).

 

 

Résumé:

SIGNALISATION SUR L'ENTAME DANS UN CONTRAT À LA COULEUR

En général, on donne le compte en pair-impair mais il y a des exceptions :

- s'il y a trois petites cartes au mort, on utilise la signalisation appel/refus sur entame de l'As ou du Roi.

Si le mort possède un singleton ou si le partenaire a entamé d'un singleton, il faudra lui donner une indication préférentielle.

 

Tout ce que nous venons d'étudier ici constitue les fondements de la signalisation dans le but d'arriver à un idéal : donner au partenaire le renseignement qui l'intéresse d'une part, s'assurer que le message est bien passé d'autre part.

Bien sûr, les situations sont très variées et nous ne les avons pas, loin s'en faut, toutes traitées ici. Cependant, vous résoudrez la majorité de vos problèmes en vous inspirant de ces principes.

Avant de passer aux donnes d'application, il reste un cas important à traiter :

Quand signaler en fournissant un honneur sur l'entame du partenaire et comment celui-ci doit-il interpréter l'apparition d'un honneur?

C'est ce que j'appellerai : honneur sous honneur.

Bien sûr, il ne s'agit pas ici des cas où l'on fournit un honneur pour forcer en troisième. Non, les problèmes sont tout autres. Quand doit-on débloquer? Comment montrer une séquence d'honneurs ? Doit-on montrer un doubleton commandé par un honneur?

 

1) Avec une séquence

Le principe de base est le suivant: lorsque l'on possède une séquence d'honneurs, on fournit la tête de séquence à condition de ne pas risquer de donner une levée. Ce principe s'applique, bien sûr, quand c'est l'entameur ou le mort qui est maître.

Exemples:

              A 5 3

♠ 2                        V X 9

Remarquons que si le mort avait fourni le 3, c'est le 9 qu'il aurait fallu mettre (la plus petite des cartes  équivalentes).

 

              ♠ 8 5

♠ A                        D V 9 6

L'entame de l'As promettant le Roi, il n'y a pas de danger à fournir la Dame.

 

2) Doit-on marquer un doubleton commandé par un honneur?

Rappelons-le, votre partenaire ne promet que deux honneurs s'il entame d'une tête de séquence. Par conséquent, débloquer un honneur second peut être coûteux. Regardez plutôt la position de cartes suivante :

              ♠ 8 4 3

R D 5 2                  ♠ V 6

              ♠ A X 9 7

Il serait fâcheux de fournir le Valet, le déclarant serait ravi de cette aubaine.

Les règles concernant les déblocages sont les suivantes :

 

1 : On fournit toujours le 10 avec le 10 second (sauf contre-indication visible au mort).

Exemple :

              ♠ V 9 4

R                        X 5

 

2 : On marque le doubleton du Valet uniquement sur entame de l'As (néanmoins, avec V 10 secs, on joue toujours le Valet).

Exemple :

              ♠ 8 7 2

A                        V 3

Mais:

              ♠ 8 7 2

R                        ♠ V 3

 

3 : On ne montre jamais le doubleton quand il est commandé par la Dame (sauf D V secs).

Exemple :

              ♠ X 5 2

A                        D 4

 

Le comportement de l'entameur résultera de l'application de ces principes. Ainsi, s'il entame de l'As (avec As Roi) et qu'il voit apparaître la Dame, il saura qu'elle est sèche ou accompagnée du Valet et il pourra donc, en tout état de cause, jouer sous son Roi s'il désire donner la main à son partenaire.

 

Donnes d'application :

 

1)                ♠ R D 4

                  V 4

                  8 5 3

                  A D X 6 4

♠ 9 5 2

9 7 6 3

A R V 4

8 2

 

Les enchères :

Sud  Ouest Nord  Est

1♠   -     2    -

2♠   -     4♠

 

Vous entamez A pour le 3, le 6 et le 2. Quel est votre plan de défense ?            

 

Solution 1

Le 6 de Carreau est la plus petite carte. Votre partenaire refuse la couleur (appel refus quand il y a trois petites cartes au mort). Le déclarant détient donc la Dame (en principe troisième) et il ne faut surtout pas encaisser le Roi de Carreau.

Que rejouer? Cœur, bien sûr, en espérant l'As chez le partenaire. En effet, si celui-ci détient le Roi de Trèfle, il n'y a pas d'urgence, car le déclarant sera bien obligé de lui donner la main pour affranchir sa couleur.

La donne complète

                  ♠ R D 4

                  V 4

                  8 5 3

                  A D X 6 4

♠ 9 5 2             N         ♠ 9 8 7

9 7 6 3        O     E        D 9 6 4 2

A R V 4           S           X 9 7

8 2                           9 8

                  ♠ A R 3

                  V 7 5

                  D 8 5 4 2

                  R 6

 

2)                ♠ X 4

                  V 6

                  9 7 4 2

                   A D V 8 2

♠ D 8

A R 9 5

A V X 6

9 4 3

 

Les enchères :

Sud  Ouest Nord  Est

1♠   X     -     2

2♠   3    3♠

 

Vous entamez de l'As de Cœur pour le 10 de votre partenaire.

A vous de jouer.

 

Solution 2

Ce 10 de Cœur, en pair impair, est la seconde meilleure des quatre cartes décrites par votre partenaire. En conséquence, celui-ci détient aussi la Dame. Vous pouvez donc, sans hésitation, rejouer un petit Cœur sous votre Roi afin qu'Est traverse le déclarant à Carreau. Les quatre jeux :

                  ♠ X 4

                  V 6

                  9 7 4 2

                  A D X 6 4

♠ D 8               N         ♠ V 3 2

A R 9 5        O     E      D X 7 3

A V X 6           S         D 8 5

9 4 3                       X 7 5

                  ♠ A R 9 7 6 5

                  8 4 2

                  R 3

                  R 6

Sans ce flanc, inspiré par une bonne lecture de la signalisation sur l'entame, le déclarant n'aurait eu aucun mal à gagner en tirant deux coups d'atout avant de défiler ses Trèfles.

 

3)                ♠ V 9 8 7

                  9 4

                  A R 3

                  R D X 7

♠ A 4

A R V 8 5 3

8

9 5 4 3

 

Les enchères :

Sud  Ouest Nord  Est

     1    X     -

2   3    -     -

3♠   -     4♠

 

Vous entamez A sur lequel votre partenaire fournit la Dame et Sud le 6. Avez-vous un plan ?

 

Solution 3

La Dame de votre partenaire est sèche. C'est une certitude puisque vous détenez le Valet. Vous pouvez donc compter 3 levées pour votre camp. C'est une coupe qui assurera la chute. Mais attention ! Pour l'obtenir, il faut arriver à donner la main au partenaire au bon moment.

Jouez donc votre singleton Carreau sans encaisser la deuxième levée de Cœur puis plongez sur l'As de Pique et rejouez un petit Cœur pour la coupe d'Est qui à son tour vous fera couper un Carreau.

Les quatre jeux :

                  ♠ V 9 8 7

                  9 4

                  A R D

                  R D X 7

♠ A 4               N         ♠ 6 5 2

A R V 8 5 3    O     E      D

8                 S         V 9 7 6 5 2

9 5 4 3                     8 6 2

                  ♠ R D X 3

                  X 7 6 2

                  D X 4

                  A V

 

4)                ♠ 6 5

                  V 7 5 4

                  R D 6 2

                  A R D

♠ A D

R D X 6

X 7

8 7 6 4 2

 

Les enchères :

 

Sud  Ouest Nord  Est

2♠(1) -    2SA   -

3(2) -    4♠

 

(1) faible (2) force à Carreau

 

Vous entamez R pour le 4, le 9 et le 2. A vous !

 

Solution 4

Interprétons tout d'abord le 9 de Cœur d'Est: il s'agit d'une indication de parité et ceci pour deux raisons. Primo, parce que la signalisation appel refus ne s'emploie que s'il y a trois cartes au mort, secundo parce qu'il serait saugrenu de vouloir vous signaler une carte (l'As en l'occurrence) que vous connaîtrez dès que votre Roi aura fait la levée. Votre partenaire a donc un nombre pair de cartes. Peut-il avoir As-9 secs ? Non car il aurait pris votre Roi de l'As pour rejouer le 9. Il a donc quatre cartes par l'As et votre camp n'a qu'une levée de Cœur à faire.

 

Vous détenez en outre deux levées d'atout. D'où peut provenir la quatrième levée ? Uniquement d'une coupe à Trèfle. Il faut pour cela que votre partenaire détienne un maximum de deux cartes à Trèfle, ce qui est certain, saut si le déclarant possède quatre Carreaux en plus de ses six Piques. Rejouez donc Trèfle immédiatement et continuez ce flanc chaque fois que vous prendrez la main à l'atout.

Les quatre jeux :

                  ♠ 6 5

                  V 7 5 4

                  R D 3 2

                  A R D

♠ A D               N         ♠ 7 4 3

R D X 6        O     E      A 9 8 3

X 7               S         V 9 8 5

8 7 6 4 2                    5 3

                  ♠ R V X 9 8 2

                  2

                  A 6 4

                  V X 9

 

Une signalisation précise vous a permis de compter vos levées et de découvrir la meilleure chance de battre le contrat.

 

5)                ♠ 8 7 6 2

                  D 5 4

                  R 4 3

                  R 4 3

♠ A

V X

D V X 8

X 9 8 7 6 5

 

Les enchères :

Sud  Ouest Nord  Est

1   -     2    -

4

 

Vous entamez de l'As de Pique, pour le 2, le 3 et la Dame. Qu'en pensez-vous?

 

Solution 5

La première levée indique qu'Est possède un grand nombre de Piques. En conséquence, il a peut-être deviné que l'entame provenait d'une courte et, dans ce cas, sa carte est préférentielle. Il faut rejouer Trèfle.

Les quatre jeux :

                  ♠ 8 7 6 2

                  D 5 4

                  R 4 3

                  R 4 3

♠ A                 N         ♠ V X 9 5 4 3

V X            O     E      9 8 3

D V X 8           S          9 7 2

X 9 8 7 6 5                 A

                  ♠ R D

                  A R 7 6 2

                  A 6 5

                  D V 2

 

Est a une lecture parfaite de l'entame. Il sait que son partenaire détient soit As-Roi-Dame secs soit l'As sec, car avec As-Roi secs, Ouest aurait entamé du Roi. Il a donc employé le bon signal : préférentiel quand le partenaire entame d'un singleton. La suite est facile et quatre levées sont réalisées par la défense.