Le Contre punitif
des partielles (M. Kerlero – Objectif 13 - septembre
1995)
Le
Contre punitif est un sujet extrêmement délicat, bien peu souvent abordé dans
les ouvrages, les revues et les cours de bridge. Résultat, son maniement
semble réservé à une élite et le non-champion n'a plus le choix qu'entre
laisser impunis des adversaires trop bavards et, lassé de se « faire
marcher sur les pieds », risquer trop fréquemment de décaisser les
effroyables 670, 530 et autres 990 ... |
Pour qu'un
camp ait intérêt à contrer une partielle à la couleur, il lui faut réunir plusieurs
conditions. En effet, il ne suffit pas de penser ou d'espérer que le contrat
chute, il faut encore que la pénalité ainsi récoltée « couvre » les
points du contrat qu'il aurait été possible de déclarer (et de gagner) en
attaque. Exemple :
Sud Sud Ouest
Nord Est
♠ R
V 6
1SA 2♥
♥ R 5 ?
♦ A 8 5 4
♣ V X 5 4
Avec au
moins 28 points dans la ligne, il est hautement probable que 2♥ chute. Néanmoins, envisager de jouer 2♥ contré serait très mal joué de la part de Sud,
car il est légitime d'espérer gagner 3SA (ce n'est certes pas assuré mais, au
bridge, on n'attend pas d'être certain de gagner un contrat pour l'annoncer :
il suffit que les chances soient raisonnables). A vulnérabilité égale, par
exemple, il faudrait donc encaisser trois de chute, soit limiter Est à cinq
levées. Or, il suffirait à celui-ci d'un peu de distribution (coupes, longueur
quatrième
Pour être
statistiquement rentable, le Contre d'une partielle doit donc reposer beaucoup plus sur une forte opposition à l'ATOUT que sur un total élevé de points d'honneurs. |
N'oubliez pas
que, lorsqu'un adversaire possède un singleton, les 10 points H que vous pouvez
posséder dans la couleur ne produiront qu'UNE levée si c'est lui qui joue le
coup. Exemple :
Sud Sud Ouest
Nord Est
♠
6 1♠ 2♦
♥ A 7
6 ?
♦ R D X 8 6
♣ 8 7 4 3
La main
dont on rêve ... Est va se faire littéralement massacrer à 2♦ (Sud possède cinq levées pratiquement assurées
à lui tout seul et Nord a ouvert). De plus, rien ne prouve que Nord-Sud font
une manche et d'ailleurs, si c'est le cas, c'est que Nord est très fort et
qu'Est va chuter de quatre ou cinq à 2♦.
Bien sûr, comme souvent, on est dans une situation de Contre non punitif
(Spoutnik, en l'occurrence), mais ce n'est pas gênant : dans ces cas-là, il
faut passer; Nord, fatalement court à Carreau, va très probablement réveiller
par « Contre » et Sud transformera cet appel en Contre punitif.
La
notion de misfit est également un élément important pour décider d'entreprendre
une action punitive à bas palier. |
La
présence d'un fit peut tout d'abord inciter à surenchérir et, d'autre part,
diminue l'efficacité défensive des honneurs de la couleur. Imaginons par
exemple que Nord-Sud possèdent As-Roi-Dame de Pique.
S'ils
n'ont que cinq ou six cartes dans leur ligne, ils feront presque certainement
trois levées de Pique dans un contrat adverse à l'atout Cœur. Avec sept ou huit
cartes, ils n'en réaliseront probablement plus que deux et, avec neuf ou dix,
ils devront s'estimer heureux avec une. D'autre part, le nombre de levées
qu'ils auraient réalisées à l'atout Pique aurait augmenté d'autant. Exemple :
Sud Sud Ouest
Nord Est Sud
Ouest Nord Est
♠
6 1♠ 2♦ ou 1♥ 2♦
♥ A 8 5
4 ? ?
♦ R D X 7
♣ 8 7 4 3
Dans les
deux cas, Sud possède quatre levées de défense, mais, s'il doit avoir très
envie de jouer 2♦ contré lorsque son
partenaire a ouvert de 1♠, l'idée ne doit pas l'effleurer sur l'ouverture
de 1♥. D'une part, la chute sera moins
grande, car les points à Cœur de l'ouvreur seront inefficaces. D'autre part,
Nord-Sud ont de bonnes chances de gagner 4♥
et l'éventuelle pénalité récoltée à 2♦
risque de ne pas être assez élevée. Enfin, tenter de jouer 2♦ contré risque de permettre à Est-Ouest de
découvrir un meilleur atout.
Pour
être efficaces, les atouts doivent être placés derrière la longue adverse, et
non pas devant. |
Exemple :
Sud Sud Ouest
Nord Est Sud
Ouest Nord Est
♠
6
1SA 2♥ ou 1♥ -
♥ A 8 5
4 ? - 2♥ - -
♣ 8 7 4
3
?
Dans la
première séquence, la chute à 2♥ est une
certitude quasi-absolue. D'ailleurs, de nombreux experts ont conservé le Contre
punitif dans cette situation. En revanche, dans la seconde, envisager de jouer
2♥ contré serait de la folie douce, car
Sud ne possède AUCUNE levée d'atout assurée. Même si Est est
probablement singleton Cœur, Ouest pourra réaliser ses Cœurs en coupe ou en
surcoupe, sans que la défense puisse jouer atout efficacement. C'est donc pour
cette raison qu'un Contre en Sud serait unanimement considéré comme un appel
(6-7 points et une courte à Cœur), éventuellement transformable d'ailleurs par
un ouvreur muni de quatre beaux atouts, bien placés, eux.
Evidemment,
s'ils sont en « séquence pleine » ...
Sud Sud Ouest
Nord Est
♠ A
R 8 7 5 1♠ 2♦ X -
♥ 6 PASSE
♦ R D V X 8
♣ 6 5
Même mal placés,
R D V X 8 feront quatre levées et il faut transformer le Spoutnik de Nord. En
revanche, avec A V 9 6 3 à Carreau, teneur tout à fait satisfaisante pour un
Contre punitif lorsqu'elle est placée derrière
l'intervention, il faudrait s'abstenir et se contenter de déclarer 2♠.
La
longueur et la solidité des atouts emporte souvent
la décision. |
Grosso-modo,
pour envisager un Contre punitif, il faut posséder :
- au
niveau de 1 : 6 beaux atouts, ou 5 très beaux.
- au niveau
de 2 : 5 beaux, ou 4 très beaux.
- au
niveau de 3 : 4 beaux, ou 3 très beaux.
La
notion de « beaux » atouts dépend bien sûr de la
« tête », mais aussi de la « profondeur ». |
Par exemple,
A D 7 4 3 est probablement insuffisant, même au niveau de deux : il n'y a que
deux levées sûres. En revanche, A D 9 8 5 produira presque certainement quatre
levées et parfois cinq avec le 10 chez le partenaire. Exemples :
Sud Sud Ouest
Nord Est
♠ A
V 6 3 2 1♣
1♠
♥ R 5
2 1SA
♦ 6 5 3
♣ 5 4
Avec
seulement deux levées d'atout, rien ne prouve que 1♠ chute.
Sud Sud Ouest
Nord Est
♠ A
V X 8 7 1♣ 1♠
♥ R 5
2 PASSE
♦ 6 5 3
♣ 5 4
Nord va
probablement réveiller par Contre et l'on pourra « transformer »,
avec de bonnes chances de scorer 300 ou 500 dans la bonne colonne, et parfois
plus.
Spécificités du tournoi par paires
Toutes les
donnes ayant le même « poids », on prend plus volontiers des risques
dans ce domaine du Contre punitif des contrats partiels, du moins à partir de 2♦. En effet, 2♦
contré et fait ne score que 180, soit une perte de 3 Imps,
par rapport aux 90 habituels pour ce contrat. En duplicate, le coup n'est donc
pas bien grave. En revanche, 2♥ contré et
fait score 470 ou 670, suivant la vulnérabilité, soit une perte sèche de 9 ou
11 Imps, comparés aux éventuels 110 de l'autre salle.
Il ne sera donc pas question de se « laisser aller ». Pour contrer 2♥ en duplicate, il faut escompter trois levées de chute probables et en
« assurer » deux. Ainsi,
si le coup est « décevant », la « marge » prévue devrait
éviter la catastrophe.
Contrer 2♥ pour -1 est ainsi très mal joué en match par
quatre : pour gagner 2 ou 3 Imps, on ne prend pas le
risque d'en perdre 9 ou 11.
En tournoi
par paires, en revanche, un zéro n'est jamais qu'un zéro et il faut parfois
prendre des risques lorsque l'adversaire nous a « volé »
le contrat. Exemple :
Sud Sud Ouest
Nord Est
♠ R
V 6 1♦
- 1♥ -
♥ A 3 1SA -
- 2♠
♦ R D 6 5
♣ V 7 6 5
Visiblement,
Est a fait un « spécial », puisqu'il n'est pas intervenu à 1♠
sur 1♥. Il s'agit probablement d'un joueur
qui ne supporte pas de laisser ses adversaires jouer le coup.
En
duplicate, on passerait, pour encaisser paisiblement une chute probable
« couvrant » à peu près l'éventuel gain du contrat de 1SA, sans
prendre le risque de décaisser 10 Imps.
En tournoi
par paires, se contenter de 50 ou 100, alors qu'on trouvera probablement une
avalanche de 90 ou de 120 sur la feuille, risque d'amener une note voisine du
zéro. La chute étant malgré tout assez probable à 2♠, il faut contrer. On
prendra un zéro de temps en temps, quand on aura eu affaire avec un petit malin
embusqué derrière sept Piques par As-Dame, mais beaucoup plus de tops à 200 ou
300.