2 : bicolore majeures faible face à une ouverture mineure (T. Bessis – Bridgeur n°814 – février 2008)

 

Une convention qui permet de décrire des bicolores majeurs faibles en réponse à une ouverture mineure.

 

Dans le cadre du système d'enchères français, dans la séquence :

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       1♠      -

2      -       2

 

2 est une enchère naturelle et forcing. Elle ne se fait qu'à partir d'une dizaine de points d'honneurs. Le répondant est alors souvent amené à passer sur 2 avec quatre, voire cinq cartes à Cœur, s'il a une main trop faible pour poursuivre le dialogue. Et le résultat peut être dramatique ! Considérez par exemple ces deux jeux :

♠ 9

A R X 4

X 2

A R 9 5 4 2

 

face à :

 

♠ A 8 6 4 3

D 8 5 3

8 7

7 3

 

En standard  français, la séquence est :

Sud     Ouest   Nord    Est

                1      -

1♠      -       2

passe

 

Rien à reprocher... si ce n'est qu'il y a onze levées probables à l'atout Cœur ! Comment éviter un résultat aussi ridicule ?

Certaines paires ont décidé de jouer le rebid à 2 après le début 1 - 1♠ - 2 non forcing. Cette façon de procéder est tragique pour plusieurs raisons :

• Elle ne fonctionne que sur la répétition des Trèfles de l'ouvreur. En effet, dans la séquence 1 - l♠ - 2, 2 est une troisième couleur forcing, totalement artificielle, et ne peut en aucun cas être considérée comme non forcing.

• Cela oblige à dire 1- 1♠ - 2 - 2 avec cinq Piques, quatre Cœurs et du jeu. Ce n'est vraiment pas satisfaisant. En effet, pour retrouver alors le fit 4-4 à Cœur, on est obligé de considérer à ce stade que l'enchère de 2 de l'ouvreur montre quatre cartes alors que, dans le standard,

2 montre simplement une force dans cette couleur et une faiblesse à Carreau (sinon, on dirait 2SA où 3SA). Il y a là un décalage dont on ne se remet pas.

 

Alors, quelle solution ?

 

 

Adoptez la convention 1/ - 2

Sur l'ouverture de 1 ou de 1, la réponse de 2 montre au moins cinq cartes à Pique, au moins quatre cartes à Cœur et une main faible, c'est-à-dire entre 4-5 et 9-10 points d'honneurs.

 

 

 

Quelques exemples :

♠ R X 8 6 4

R X 7 2

D 5 4

3

8 points, 5-4-3-1. Répondez 2.

 

♠ A 9 6 4 3

V X 5 4 3

6 5 3

La main parfaite pour répondre 2, avec l'envie de jouer une partielle à Cœur ou à Pique (voire plus si bon fit) et surtout pas à Trèfle !

 

Mais :

♠ D V X 9 7 5

7 5 4 2

V 5

6

Répondez 1♠ puis redemandez à 2♠. Non seulement la main est un peu trop faible pour 2, mais en plus la qualité des Piques et la sixième carte sont de solides arguments pour préférer jouer à cet atout, même si l'ouvreur possède quatre cartes à Cœur.

 

♠ A V X 7 2

R D 9 8 4

7 3

4

Répondez l♠. La main est bien trop forte pour utiliser la convention.

 

Les développements après 1 - 2

 

L'ouvreur, dont le partenaire a décrit la forme et la force de la main, sera la plupart du temps en mesure de conclure. Toutefois, il pourra solliciter son partenaire en lui proposant la manche ou en utilisant un relais forcing de manche à 2SA s'il souhaite en savoir plus encore. Il poursuivra donc ainsi :

-        Passe : pour jouer 2 Cœurs, bien sûr.

-        2♠    : pour les jouer.

-        2SA   : relais forcing de manche.

-        3    : naturel, non forcing.

-        3    : naturel, 6-5.

-        3    : propositionnel.

-        3♠    : propositionnel.

-        3SA   : pour les jouer.

 

Exemples :

1)

♠ V 6

D X 4

A V X 3

R D 5 3

 

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       2      -

2♠

Comme à l'accoutumée, on préfère jouer dans le 5-2 que dans le 4-3.

 

2)

♠ R V 3

A D 4

R 6

A V X 9 7

 

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       2      -

4♠

18 points magnifiques et le fit Pique : nommez la manche.

 

3)

♠ R D 5 3

7 3

4

A R V X 7 6

 

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       2      -

3♠

Certes, seulement 13H, mais des honneurs utiles, le fit neuvième et une couleur secondaire génératrice de levées. La manche est très possible.

 

Les développements après le relais à 2 Sans-Atout.

 

Beaucoup de développements sont possibles ici, selon que l'on attache plus d'importance à la force de la main, au résidu mineur ou à la présence du cinquième Cœur dans la main du répondant. La seule chose importante est comme toujours de jouer les mêmes développements que le partenaire. Je vous livre une version assez simple :

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       2      -

2SA

 

-        3  : minimum (5-7H), sans cinq Cœurs.

-        3  : maximum (7-9H), sans cinq Cœurs et irrégulier.

-        3  : minimum, avec cinq cartes à Cœur.

-        3♠  : maximum, avec cinq cartes à Cœur.

-        3SA : maximum, 5-4-2-2.

 

Les avantages et les inconvénients de la convention

 

Le principal attrait de cette convention est bien sûr de trouver le fit 4-4 ou 5-4 à Cœur et ainsi de découvrir une meilleure partielle (voire une bonne manche) alors que le standard français conduirait parfois à jouer 2 Trèfles en fit 5-1 (lorsque l'ouvreur a répété ses Trèfles avec cinq Trèfles et quatre Cœurs). À ce propos, il est devenu fréquent chez les joueurs qui ne pratiquent pas cette convention de préférer la redemande à 1SA avec une main 1-4-3-5 de première zone, justement pour retrouver un éventuel fit à Cœur. Et ce, même avec un petit singleton Pique et des bons Trèfles. Le fait d'adopter cette convention permet de ne plus craindre ce scénario et de redemander à 2 sereinement avec ce type de mains.

 

L'autre avantage net est la confidentialité lorsque l'ouvreur se retrouve déclarant à 4 Piques après une réponse de 2 de son partenaire. En effet, dans la séquence :

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       2      -

4♠

l'ouvreur peut aussi bien avoir une main forte et balancée qu'une main plus faible mais distribuée. La défense s'en retrouve alors bien plus compliquée. Enfin, il est très difficile pour le joueur numéro 4 de se manifester après le début 1 - 2. Imaginez que celui-ci ait de quoi intervenir à 1SA sur une réponse de l♠, que fait-il maintenant ? S'il parle et que son partenaire n'a strictement rien, il va prendre une pénalité dont il se souviendra. À l'inverse, s'il préfère passer et que son partenaire avait de quoi le soutenir à 3SA et faire neuf levées, il va vous laisser jouer 2 Cœurs ou 2 Piques pour un résultat tout aussi mauvais. Cette convention peut donc aussi facilement faire office de barrage.

 

C'est bien joli tout ça, me direz-vous, mais quels inconvénients a-t-elle, cette convention ? Pourquoi n'est-elle pas encore unanimement appréciée et pratiquée ? Le premier défaut, comme toute convention, est qu'elle prive d'une enchère naturelle. Le bon vieux saut à 2, unicolore fort, est si confortable quand on l'a à sa disposition qu'il a encore beaucoup d'adeptes, malgré sa faible fréquence. Même s'il est toujours possible de répondre 1, de transiter par une enchère forcing, puis de répéter ses Cœurs (presque toujours au palier de 3), le saut fort à 2 est plus simple et plus économique, en un mot plus efficace que tout autre traitement. Cela dit, aucun autre pays que la France ne pratique encore ces jumps forts ancestraux et il me semble qu'ils survivent très bien sans.

Le principal inconvénient est, à mon avis, que l'on jouera de temps à autre une mauvaise partielle. Car, finalement, quand on répond 2 sur l'ouverture... eh bien, on ne peut plus jouer 2 Trèfles ou 2 Carreaux. C'est le revers de la médaille. Imaginez les deux jeux suivants :

♠ D 8 7 5 3

R V 8 4

5

9 7 6

 

face à :

 

♠ V 2

D 6

R 8 3

A D V 8 5 2

 

Dans le standard, on dit toujours :

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       1♠      -

2

et on atteint le bon contrat.

 

En pratiquant la convention, on dit :

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       2      -

2♠

et le contrat est nettement inférieur.

 

Cela dit, l'ouvreur, s'il le souhaite, peut toujours revenir dans sa couleur au palier de 3. Le pire qui puisse arriver est donc de jouer 3 Trèfles moins un au lieu de 2 Trèfles égal, ce qui n'est certes pas très satisfaisant mais ne constitue pas un drame en soi. Et puis... c'est le prix à payer pour que, la fois suivante, ce soit 4 Cœurs égal au lieu de 2 Trèfles plus un. À la longue, il n'y a pas de doute à avoir, la convention rapporte des points.

 

À ce sujet d'ailleurs, certaines paires ont décidé de jouer cette convention différemment. C'est le soutien de la mineure d'ouverture qui montre cinq Piques et quatre Cœurs dans une main faible :

Par rapport à ce que je vous propose, on perd le soutien simple de la mineure d'ouverture, qui n'est cela dit pas si fréquent (du coup, on répond 1 ou 1SA sur l'ouverture de l avec les mains avec lesquelles on aurait dit l - 2 naturel), et on récupère le jump fort à 2. L'avantage est double : l'ouvreur peut passer s'il est misfitté dans les majeures et préfère s'arrêter. De plus, après le début l - 2, on peut utiliser l'enchère de 2 comme un relais économique, non forcing de manche, pour en savoir plus sur la force et la distribution du répondant. Faites votre choix !

 

Les inférences de cette convention

 Une fois la convention adoptée, il faut toujours garder à l'esprit que, lorsque la séquence démarre :

 

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       1♠      -

si le répondant annonce ensuite les Cœurs,il n'a pas un jeu faible, auquel cas il aurait répondu 2 sur l'ouverture. Cette convention entraîne des modifications dans de nombreuses séquences dont la plus courante est sans doute celle-ci :

Sud     Ouest   Nord    Est

1♣/    -       1♠      -

1SA     -       2

Dans le standard, cette séquence est non forcing et montre au moins cinq Piques, au moins quatre Cœurs et moins de 10 points. Dans le cadre de la convention, le répondant ne saurait détenir ce type de mains, étant donné qu'il aurait répondu 2 à son premier tour d'enchères. Il est donc logique de conférer à cette séquence une autre signification : une main encourageante avec au moins cinq Piques et au moins quatre Cœurs, c'est-à-dire la zone juste au-dessus de la réponse de 2 directe.

Mais alors, me direz-vous, que devient la séquence :

Sud     Ouest   Nord    Est

1♣/    -       1♠      -

1SA     -       2(1)   -

2(2)      -    2

(1) Relais du type Ping-pong ou double 2.

(2) Obligatoire.

 

 Encore une fois, le seul point important est qu'il faut être sur la même longueur d'onde que le partenaire. Je ne voudrais pas m'aventurer à donner une signification pour chaque type de relais employé sur la redemande à 1SA mais je peux vous livrer la version que nous avons adoptée avec mon partenaire dans le cadre du double 2 :

Sud     Ouest   Nord    Est

1♣/    -       1♠      -

1SA     -       2      -

2      -       ?

 

2 : quatre cartes à Pique exactement, cinq cartes à Trèfle, 10-11 points.

3 : pour s'arrêter.

3 : naturel, non forcing, 10-11 points.

 

Bien sûr, il y a beaucoup d'autres séquences qui montreraient dans le standard cinq Piques, quatre Cœurs et une main faible et auxquelles il faudrait donc donner un sens plus fort dans le cadre de la convention. En vrac, en voici quelques-unes :

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       1♠      -

2      -       2      -

Encourageant.

 

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       1♠      -

2      -       3      -

À partir de 10 points. L'ouvreur peut alors parfois prendre les choses en main.

 

Sud     Ouest   Nord    Est

1      -       1♠      -

2SA     -       3      -

De même, à partir de 10 points.

 

Et sûrement beaucoup d'autres...

 

Voilà, à vous de faire votre choix. Selon moi, cette convention rapporte plus en formule duplicate qu'en tournoi par paires. En effet, c'est sur les gros coups, les manches à 4 Cœurs et à 4 Piques, qu'elle est efficace, plus que sur les partielles où l'on joue plutôt 2 Piques ou 2 Cœurs que 2 Trèfles.

En ce qui me concerne, je la joue depuis une bonne dizaine d'années et en suis fort satisfait.

 

L’avis du « Bridgeur »

Dans la mesure où cette convention permet d'améliorer l'efficacité du système naturel dans certaines situations parfois troubles, la rédaction considère que son emploi peut apporter un plus.

Elle est surtout intéressante pour ses inférences (conséquences et développements après la réponse de 1♠ et la nomination ultérieure des Cœurs, par exemple). Le prix à payer (abandon du saut fort) ne semble pas exorbitant. Mais comme avant toute utilisation d'une convention hors normes, nous ne saurions trop conseiller au lecteur de bien travailler le sujet avant de se lancer, sans oublier de souligner que ce n'est jamais qu'un tout petit gadget dont on peut fort bien se passer.