La défense contre les plans de jeu à la
couleur (R. Berthe - Bridgeur n°791 – Janvier 2006)
Une série d'exercices
accompagne cet article (voir « jeux &
exercices »)
Le
jeu de flanc est sans conteste l'un des domaines les plus délicats du bridge, mais
aussi l'un des plus rémunérateurs. Dans les contrats à l'atout, la séquence
d'enchères et la vue du mort sont souvent suffisantes pour déterminer le plan
de jeu que le déclarant va mettre en œuvre dans le but d'effacer ses perdantes
excédentaires. Il faudra alors vous ingénier à contrecarrer ses desseins dans
toute la mesure du possible. Ne croyez surtout pas qu'en défense vous soyez
obligé de réaliser d'emblée toutes les levées auxquelles vous pouvez prétendre.
Ce sera parfois le cas mais la plupart du temps, il faut agir différemment.
Soyez conscient que si le déclarant a un certain nombre de perdantes et que
vous l'empêchez de les effacer, vous les ferez à un moment donné ! Rappelons,
pour mémoire, que les différents plans à la disposition du déclarant peuvent
être regroupés en quatre grandes familles :
•
Les jeux de coupes réalisées du côté court des atouts et leur corollaire, la
double coupe.
•
La défausse des perdantes sur des extra-gagnantes d'honneurs ou de longueur de
la main secondaire.
•
Les jeux d'honneurs, c'est-à-dire la réalisation de petits honneurs grâce à des
impasses ou des placements de main.
•
Les coupes du côté long.
Voyons
ensemble les mesures défensives à prendre dans chacune de ces situations.
La coupe du côté court
La
conduite à tenir par chacun des défenseurs est d'une évidence criante : jouez
atout le plus de fois possible. En dehors du fait qu'il leur faudra parfois
amorcer ce plan dès l'entame (quand la séquence d'enchères aura été
suffisamment explicite), il arrivera que l'un des joueurs soit mieux placé que
l'autre pour amorcer la stratégie :
•
Soit en raison de sa propre teneur ou bien à cause de celle de son partenaire
dans la couleur d'atout. Généralement, il est préférable de traverser la main
adverse la plus forte à l'atout.
•
Soit parce qu'il sait pertinemment qu'il s'agit de la meilleure défense alors
que son vis-à-vis l'ignore. C'est notamment le cas lorsque la main secondaire
visible comporte une couleur longue apparemment exploitable et que l'un des
flancs sait, au vu de sa teneur dans cette couleur, qu'en réalité elle ne l'est
pas.
La défausse des perdantes
Ici,
le problème posé aux défenseurs est parfois plus délicat, car les armes dont
ils disposent sont nombreuses. Ils ont le choix entre :
•
Encaisser rapidement leurs levées, en courant au besoin les risques qui
s'imposent.
•
Affranchir des plis tant qu'ils contrôlent encore la situation.
•
S'attaquer aux communications du déclarant afin de l'empêcher d'affranchir ou
d'utiliser ses extra-gagnantes.
Les jeux d'honneurs
Il
arrive que les enchères et la vue du mort vous permettent de constater qu'aucun
des plans précédents ne peut être mis en œuvre par le déclarant qui se trouve
en face d'une main plate. Par exemple, après la séquence :
Sud Ouest Nord
Est
1♠ - 3♠
Vous
découvrez un mort de ce type :
♠ V 8 3 2
♥ D 6 5
♦ A X 3
♣ A 6 2
Dans
ce genre de situations, le déclarant ne peut s'en sortir qu'en réalisant un
maximum de levées dans les couleurs annexes courtes. Et en pareil cas, chaque
camp a intérêt à ne prendre aucune initiative personnelle. Vérifions-le
aisément :
a)
♥ D 6 5 b) ♦
A X 3 c) ♣ A 6 2
face à : face à : face à :
♥ V 4
3 ♦
R V 5 ♣ R V 7
•
En a), si Sud joue la couleur lui-même, il ne fera un pli que si l'As et le Roi
sont dans la même main (ou si l'un de ces honneurs est second et qu'il devine
bien !). Que le flanc ouvre la couleur et le gain d'une levée est garanti en
Nord-Sud.
•
En b), si l'un des adversaires joue Carreau, le déclarant n'aura pas à chercher
la Dame.
•
En c), si Ouest aborde les Trèfles, les soucis de Sud disparaissent comme par
enchantement.
Lorsque
vous serez en défense dans pareille situation, la meilleure stratégie consiste
donc pour vous à rester le plus neutre, le plus passif possible, c'est-à-dire à
jouer uniquement les couleurs les moins dangereuses :
•
La couleur d'atout, qui, la plupart
du temps, est longue et solide, puisqu'elle a été sélectionnée comme atout par
les adversaires.
•
La couleur dans laquelle vous venez de
prendre la main à la suite d'une manœuvre adverse.
Malgré
tout, vous savez qu'un bon déclarant va s'ingénier à vous priver de vos cartes
de sortie sûres avant de vous remettre en main (il s'agit de la fameuse
technique de l'élimination placement de main). Si vous prévoyez d'en être la
victime en raison de votre teneur dans les couleurs cruciales, vous disposerez
parfois de parades telles que les déblocages d'honneurs, afin que la levée soit
remportée non par vous, mais par votre vis-à-vis. Si, en revanche, c'est ce
dernier qui est visé, vous devrez vous efforcer de le préserver d'une mise en
main grâce à des manœuvres appropriées (par exemple en plongeant en second, au
contraire de ce que l'on a coutume de faire dans cette situation). Si, enfin,
le déclarant mène à bien son placement de main final, votre sort ne sera pas
toujours irrémédiablement scellé. Il vous sera encore possible :
•
De sortir de votre main en retournant la bonne carte, technique ou trompeuse.
•
De rejouer dans coupe et défausse, si le compte de la main du déclarant vous
apprend que celui-ci ne pourra tirer aucun bénéfice réel de l'opération.
Bref,
les jeux d'honneurs sont fréquemment l'occasion d'une lutte à couteaux tirés
tout à fait passionnante entre les deux camps.
Les coupes du côté long
Nous
ne dirons que quelques mots de la défense contre ce plan, finalement assez rare
et surtout difficile à diagnostiquer. Contentons-nous de rappeler qu'un tel
plan n'est rémunérateur que si le déclarant effectue un grand nombre de coupes
(puisqu'il faut que la main courte devienne plus longue que l'autre). La
défense consiste alors à ne pas l'aider à opérer ses coupes, lesquelles
nécessiteraient un grand nombre de rentrées.
Rappelons
la tactique à employer par les défenseurs selon le plan que va adopter le déclarant pour éliminer un certain
nombre de perdantes.
•
Coupe du côté court : jouer atout si
possible du bon côté.
•
Défausse des perdantes sur des
extra-gagnantes :
- Encaisser ses levées d'urgence.
- Affranchir des levées pendant que la défense
contrôle encore la situation.
- S'attaquer aux communications du déclarant.
•
Jeux d'honneurs : adopter une
défense neutre, consistant à ne pas
ouvrir de
couleurs (jouer atout tant qu'on en possède, sinon rejouer la couleur que le déclarant est en train de
manœuvrer).
•
Coupes du côté long : ne pas en
offrir inutilement, faire sauter
prématurément
les rentrées du mort.