La première défausse italienne pour ou contre (P. Toffier - Bridgeur
n°681 - janvier 1996)
· La défausse d'une carte impaire est un
appel dans la couleur défaussée
· La défausse d'une carte paire est un refus
de la couleur défaussée, doublé d'un appel de préférence :
- une grosse carte paire est un appel dans la
couleur la plus chère des deux couleurs restantes (l'atout étant exclu).
- une petite carte paire est un appel dans la couleur la moins chère des deux couleurs restantes.
· Un écho de cartes paires est un appel
· Un écho de cartes impaires est un refus
(On entend par écho, une grosse carte, suivie
d'une petite).
Propos recueillis par Philippe Toffier
POUR : Pierre ADAD
COHÉRENCE
Tous les flancs qui ont une logique cohérente
sont parfaitement acceptables. Je n'ai donc jamais choisi une fois pour toutes
de jouer le pair-impair, petit encourageant, ou autre chose. Pourquoi ai-je donc
privilégié cette option de la première défausse italienne ? Dans tous les
systèmes de flanc cohérents, on commence par glaner des informations, notamment
à l'entame, qui sont de simples indications et qui permettent au flanc de se
repérer malgré les fausses pistes dans lesquelles le déclarant essaie de
l'entraîner.
Et quand celui-ci commence à jouer une
couleur maîtresse, la première défausse va éclairer quelque chose d'important
sur la place d'un gros honneur. On transmet donc ainsi à son partenaire un
message capital, en supposant qu'il prenne la main relativement vite ou qu'il
doive défausser à son tour. Ce message peut être de deux ordres soit une
indication forte, du type : "dès que tu prends la main, joue telle couleur
de manière à dégager quelque chose chez moi (quand on possède par exemple
Roi-Dame nièmes derrière As-Valet-10 du mort)." Soit du type plus nuancé
qui consiste à dire qu'on a un gros honneur dans telle couleur, et, même s'il
n'y a pas d'urgence à en jouer, le partenaire est rassuré pour la suite du
coup. S'il y a Roi-Valet au mort et que votre vis-à-vis possède l'un des deux
honneurs manquants, il saura, à coup sûr, que vous détenez l'honneur
complémentaire. Cela ne renseignera en rien le déclarant, qui saura simplement
qu'il y a un honneur à droite. Mais lequel ?
AU BON MOMENT
L'avantage de la première défausse italienne
est qu'elle se situe à un moment critique. Elle confirme les informations
reçues auparavant (grâce à l'autre mode de signalisation choisi), avec une
force plus ou moins grande. Les cartes d'appel violent (3, 5, 7, 9) sont
presque des ordres pour le partenaire. Les cartes paires sont en principe des
refus, nuancés de préférentiels (un 2 ou un 4 va donner une notion de grosse
carte à Trèfle alors qu'un 8 ou un 10 indiquera un honneur dans une majeure),
mais sans imposer au partenaire d'en jouer. J'ajouterai qu'il est beaucoup plus
difficile au déclarant de camoufler la parité d'une carte que sa hauteur. Cette
première défausse a quelque chose pour moi de rassurant et de reposant car il
est plus facile de suivre les autres cartes avec un intérêt normal et de
considérer cette carte précise avec un intérêt beaucoup plus poussé, au moment
où on l'attend. Le dernier argument pour cette convention se situe dans le
tournoi par paires, où on ne peut pas se permettre de filer une surlevée, et où
il est nécessaire de connaître avec exactitude l'honneur du partenaire. Cette
notion disparaît en duplicate où le but principal est de battre le coup (c'est une hypothèse de nécessité) par tous les
moyens, en faisant abstraction de cette notion de surlevée.
LE BON SENS COMPENSE
Les principaux détracteurs de cette
convention opposent surtout deux arguments. Le premier est de dire qu'on ne
possède pas forcément les cartes qu'on souhaiterait pour appeler. Soit ! Mais
une once de bon sens permet au partenaire de constater qu'il possède deux
cartes impaires, tout comme le mort, et d'interpréter une carte paire comme un
appel. D'autre part, on peut appeler comme en Levinthal avec une carte d'une
autre couleur.
Enfin, arrivé à ce point, et n'ayant pas les
cartes adéquates, le deuxième argument consiste à reprocher au joueur d'hésiter
un petit peu avant de fournir sa carte, ce qui fournit au partenaire une
information illicite. Je m'inscris en faux sur ce dernier point car, me
trouvant en flanc avec mon partenaire habituel, ma première défausse italienne
est généralement mise de côté dans mon jeu dès la troisième levée, prête à être
sortie au moment voulu, dans un tempo tout à fait normal, même si elle ne
correspond pas tout à fait à la carte idéale qu'il faudrait mettre au point de
vue de la parité.
Contre : François STRETZ
Je suis d'une manière générale opposé à toute
forme d'appel codifié pour trois raisons essentielles :
- le déclarant peut en faire bon usage.
- Défausser une carte impaire dans une
couleur où l'on souhaite voir le partenaire rejouer équivaut souvent au
sacrifice d'une levée de longueur.
- Les cartes dont on dispose ne conviennent
pas toujours pour le message que l'on souhaite transmettre (en l'occurrence,
absence de cartes impaires). Prenons un exemple concret. Ouest joue 1
Sans-Atout. Que doit défausser Sud sur le quatrième tour de Pique ?
♠ R D X 9
♥ x x x x
♦ x x
♣ A x x
♠ V x
♠ x x x x
♥ A x ♥
D 9 x
♦ A R x x x ♦
D x x
♣ R D x x x ♣
V x x
♠ A x x
♥ R V X 3
♦ V X 9 2
♣ 9 7
DES SACRIFICES INUTILES
La défausse naturelle est le 9 de Trèfle, qui
ne peut être un appel à Trèfle, mais une préférence à Cœur. Or les joueurs qui
ont opté pour la première défausse italienne ne peuvent fournir cette carte,
qui serait considérée comme un appel ! Ils sont donc condamnés à sacrifier une
levée en défaussant le 3 de Cœur.
En fait, le concept même
"d'appel" me paraît incompatible avec celui de la défense, qui se
nourrit d'échanges d'informations afin de mettre en œuvre les facultés
d'analyse du joueur de flanc. La première défausse italienne oblige le
défenseur à transmettre un message d'appel ou de refus, alors que le plus
souvent, il ne peut et ne doit transmettre qu'une information à son
partenaire. Ainsi la position Rxx32 derrière DXxx du mort ne permet pas d'appeler
ou de refuser. La seule information pertinente sera d'indiquer un nombre impair
de cartes, ce qui permettra au partenaire d'attaquer ou non cette couleur selon
sa propre teneur.
INCOMPATIBILITÉ AVEC
L'ÉTHIQUE
De cette difficulté naît un
dernier argument contre ce système de défausse, puisque de telles situations,
où ni l'appel et ni le refus ne semblent évidents, conduisent les défenseurs à
fournir leurs cartes dans un tempo tout à fait anormal. Ce changement de tempo
dans le rythme du jeu est contraire à l'éthique car il attire forcément
l'attention du partenaire. En effet, une longue réflexion, suivie d'une carte
impaire, ne peut avoir la même signification que la même carte fournie
normalement dans la foulée.
En conclusion, je dirai
qu'appeler ou refuser me paraît être une alternative dont la résolution est le
plus souvent soit impossible, soit présomptueuse.